Petite histoire des inspecteurs de la sécurité des navires

La fonction d’inspecteur de la sécurité des navires et de la prévention des risques professionnels maritimes (ISNPRPM) au sein des centres de sécurité des navires (CSN), repose sur des dispositions réglementaires, fruits d’une évolution permanente qui suit celle de la réglementation sur la sécurité des navires et, plus généralement le développement du commerce maritime. Ainsi la petite histoire des inspecteur suit-elle la grande Histoire maritime.

Le plus lointain ancêtre de l’ISNPRPM fût l’huissier-visiteur dont on trouve trace dans des ordonnances de 1517 et 1584. Cette fonction a été réglementée dans l’ordonnance de 1681 qui dispose que « ces officiers devoient être personnages bien entendus au fait de la Marine », qu’ils doivent être âgés de 25 ans au moins et que « les Maîtres, Capitaines et Patrons seront tenus de souffrir la visite de leur bâtiment à peine d’amende ».

L’huissier-visiteur était commis par le roi, l’amiral ou les bourgeois du port et, la question de sécurité étant peu complexe, sa visite avait principalement pour objet le contrôle administratif de l’équipage, des passagers et de la cargaison.

Ces dispositions passèrent sans modification importante dans le Code de Commerce promulgué par Napoléon 1er en 1808 qui prescrivait au capitaine de faire visiter son navire « au terme et dans les formes prescrites par les règlements ».

Le développement du trafic maritime a conduit par la suite le législateur à ne plus imposer cette visite à chaque chargement mais, dans les ports métropolitains, en considération de la durée des voyages hors de France et, pour les colonies, « au premier armement ou réarmement sauf dans le cas d’avaries survenues depuis le départ et compromettant la sûreté du bâtiment ». Cette visite devint bisannuelle puis annuelle par une Loi du 30/02/1893, époque à laquelle fut institué le permis de navigation, la visite incluait alors le contrôle des appareils à vapeur, prenant ainsi un caractère de plus en plus technique.

Des dispositions réglementaires diverses instituèrent ensuite des contrôles spécifiques comme les transports d’émigrants et des transports saisonniers de marins pêcheurs (1861 ministère de l’intérieur), les engins de sauvetage des navires à passagers (1903 ministère de la Marine), les bâtiments du service postal (administration des Postes)…

La réglementation de la sécurité, bien qu’encore insuffisante sur certains points, commençait a être complexe et relevait de divers ministères et de commissions multiples et irresponsables. Cette situation révélait son inefficacité face à la croissance du trafic, à l’augmentation de la vitesse et du tonnage des navires et de nombreux accidents survinrent à l’aube du 20ème siècle qui conduisirent les pouvoirs publics à se saisir de la question de la sécurité maritime. Ainsi une enquête parlementaire amena le dépôt d’un rapport (sénateur Chautemps) qui visait la sécurité de la navigation maritime et la réglementation du travail et, c’est sur cette base que fut adoptée la Loi du 17 avril 1907 concernant la sécurité sur la navigation maritime et la réglementation du travail à bord des navires de commerce.

Par cette Loi, des commissions de visite furent constituées dans les ports ou étaient établis des services spécialisés, un Décret du 17/11/1908 désignant ces ports sièges des services d’inspection de la navigation.

A cette époque les principales puissances maritimes, face aux mêmes difficultés, légiféraient elles aussi sur la question de la sécurité des navires. La catastrophe du Titanic en 1912 porta la problématique au delà du niveau national et conduisit la communauté internationale à entreprendre des travaux (Conférences de Londres à partir de 1914) qui débouchèrent sur les premières Conventions internationales sur les lignes de charge (1930) et sur la sauvegarde de la vie humaine en mer (1929). L’inspection des navires devait alors assurer la conformité à un référentiel devenu international.

Par la suite, le Décret 47-2319 du 08/12/1947 désignait les Centres d’inspection de la navigation maritime. Ces derniers deviendront des Centres de Sécurité des Navires (CSN) lors de la parution du Décret 84-810. C’est lors de la création des CSN que les Chefs de CSN se sont vu attribuer les prérogatives de président des commissions de visite qui revenaient jusque là aux administrateurs chefs de quartier de l’inscription maritime (Dt 54-489 ou Dt 69-169).

Parallèlement à ces évolutions de la réglementation sur la sécurité des navires et de l’organisation des services en charge du contrôle, les inspecteurs étaient des agents appartenant aux corps des inspecteurs de la navigation maritime (Décret statutaire du 26 mars 1909) ou des inspecteurs mécaniciens de la Marine Marchande.

Plus tard, parmi les corps de fonctionnaires susceptibles de faire partie des Commissions de visite, figurèrent aussi les officiers d’administration de l’inscription maritime, corps créé par un décret du 7 août 1919 et supprimé "par voie d’extinction" par décret du 8 mars 1923, puis rétabli par décret du 18 mai 1946 et qui devinrent officiers d’administration des Affaires maritimes en 1967 et enfin OCTAAM en 1976.

Vers 1930 le corps des Inspecteurs de la Navigation Maritime devint corps des Inspecteur de la navigation et du travail maritime puis des Inspecteurs des affaires maritimes en 1992.

Jusqu’au Décret 84-810, la réglementation (Loi 67-405 et Décret 68-206) prévoyait donc simplement l’existence de Commissions de visite des navires et une liste des agents les composant. La particularité du Décret 84-810 a été de définir la fonction d’ISNTM (Inspecteur de la sécurité des navires et du travail maritime) comme étant « les personnels affectés à des tâches de contrôle des navires et appartenant aux corps des Inspecteurs de la navigation et du travail maritime ou inspecteurs mécanicien de la Marine Marchande ou OCTAAM ou TESSNM ». Il distingue alors l’appellation de la fonction de celles des corps des agents qui l’exercent ce qui n’est pas sans rappeler le paragraphe de l’ordonnance de 1681 déjà cité « ces officiers devoient être personnages bien entendus au fait de la Marine » dans laquelle le souci de la compétence professionnelle se distinguait de l’appartenance à un corps.

Ces agents ayant libre accès à bord pour procéder aux visites, ils délivrent et renouvellent les titres de sécurité, ils peuvent « interdire ou ajourner le départ du navire au cas ou le navire ne pourrait prendre la mer sans danger pour lui-même, l’équipage, les personnes embarquées (Loi 67-405) ou le milieu marin et ses intérêts connexes (rajouté dans la Loi 83-581) ». Notons que cette formule a, de nouveau, été modifiée en juin 2011 à l’occasion de l’intégration des dispositions de la Loi 83-581 dans le Code des Transports pour devenir « Au cas où le navire ne pourrait prendre la mer sans risque pour la sécurité ou la santé de l’équipage ou des personnes embarquées, le milieu marin et ses intérêts connexes ou les autres navires

« La substitution de la notion d’absence de risque à celle d’absence de danger, au delà du reflet de l’époque, traduit la transition du concept simple de sécurité vers celui de maîtrise du risque. Cette transition qui a débuté dans le domaine maritime avec la convention STCW (normes de formation des gens de mer) et le Code ISM (gestion de la sécurité), s’oriente, en prenant de plus en plus en considération toutes les composantes de « l’élément humain », vers le concept de système de management intégré ou maîtrise des risques agrégés (qualité, sécurité, santé, hygiène, environnement, social, éthique, médiatique, sociétal…) qui se développe dans le monde industriel.

Par ailleurs, rappelons que, par le Décret 99-489, l’ISNTM est devenu ISNPRPM, voyant ainsi sa mission relative au travail maritime se préciser autour du rôle de préventeur en charge du contrôle de l’hygiène, l’habitabilité, et la prévention des risques professionnels.

Les évolutions actuelles du droit du travail maritime et en particulier l’entrée en vigueur prochaine de la convention internationale du travail maritime (convention MLC adoptée par l’OIT en 2006) qui prévoit une certification des navires renverront dans le champ de compétence des ISNPRPM les inspections et la certification des navires au titre des conditions de travail y compris sociales. Au delà de l’hygiène, l’habitabilité et la prévention des risques professionnels, ce sont aussi les aspects sociaux (contrats, durée du travail, salaires, couverture sociale, rapatriement, etc) qui seront inspectés par les ISNPRPM, inscrivant ainsi le respect des normes sociales comme vecteur d’amélioration de la sécurité maritime.

Dans cet enchevêtrement de textes relatifs aux services, aux agents et aux normes, on distingue ainsi un fil de l’histoire maritime au travers de celle des inspecteurs qui, partant du contrôle administratif des gens de mer, passagers et cargaisons, furent impliqués dans le contrôle de la sécurité des navires, dans ses aspects techniques d’abord, puis opérationnels, puis organisationnels et enfin, ou plutôt à nouveau, sociaux. Aujourd’hui, l’ISN, qui fonde toujours sa compétence sur le fait technique, doit, pour être efficace, adopter une vision systémique de la sécurité maritime en considérant le navire dans son environnement naturel, humain et opérationnel pour asseoir ce que les règlements tendent à appeler désormais son « jugement professionnel ».

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